Reconstruire une volonté collective progressiste au Québec

Reconstruire une volonté collective progressiste au Québec

Tout de noir vêtus et masqués, des activistes rassemblés en un Black Bloc étaient attendus à l’occasion de la réunion du G7 tenue au Québec. Or, ce ne sont pas ces anarchistes qui ont manifesté leur opposition destructive à l’ordre international existant, mais bien le président des États-Unis. La situation est devenue surréaliste, et l’on se demande comment les Américains ont pu élire un tel parangon d’irraisonnabilité, d’ignorance et de nombrilisme. Au même moment, nos voisins les Ontariens viennent de choisir quelqu’un qui, selon toute apparence, est d’un caractère similaire. Comment des peuples qui ont su se doter, dans une certaine mesure tout au moins, d’un État de droit, démocratique et social, en sont-ils arrivés à s’en remettre à de tels extrémistes? Comment ces peuples peuvent-ils méconnaître à ce point les voies qui ont permis à leurs sociétés d’accomplir au cours des sept dernières décennies de si évidentes et considérables avancées sociales, économiques et politiques? Et pour autant que l’on refuse de s’en remettre à un destin lamentable, comment reconstruire une véritable volonté collective permettant non seulement d’éviter les reculs, mais de favoriser une progression?

La période préélectorale dans laquelle nous entrons au Québec est assurément un moment privilégié pour réfléchir à la question des objectifs et des tâches politiques que nous devrions poursuivre.

À cet égard, le parcours historique québécois est riche de leçons. Le Québec connaît en effet depuis quelques années la fin d’un cycle amorcé par la Révolution tranquille, qui a transformé en collectivité dynamique et solidaire un peuple que le destin semblait vouer à la désintégration et à l’oubli. C’est grâce aux synergies établies entre, d’un côté, une société civile composée de syndicats, d’associations multiples, de groupes d’intellectuels et d’artistes, et, de l’autre, des gouvernements progressistes, d’abord libéraux, puis péquistes, qu’une nouvelle identité collective commune a été construite et qu’une certaine idée du bien commun a prévalu. Et, fait remarquable, cela a été accompli dans un contexte de forte individualisation, marqué par une recherche de liberté individuelle et de réalisation de soi. Les institutions politiques, administratives, économiques et sociales qui ont été mises en place ont permis de consolider pour un temps une culture politique empreinte des valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, et du souci du bien-être des autres citoyens. Même les adversaires de ce mouvement politique ont été pour un temps obligés d’en accepter les fruits.

Toutefois, depuis lors, le contexte a profondément changé. Non seulement notre tissu social s’est transformé et de nouveaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux ont surgi, mais le consensus s’est effrité et la confiance dans le politique a été fortement érodée en raison de la montée du néolibéralisme, mais aussi des errements des progressistes. L’idéologie néolibérale qui s’est déployée dans nos sociétés récuse en effet tout fondement à l’idée de projet collectif : libérés de l’emprise du politique et soustraits à toute évaluation morale, l’économie capitaliste et ses marchés seraient seuls en mesure d’assurer un ordre social juste et raisonnable. C’est ainsi que nos néolibéraux québécois, ces Daniel Johnson, Jean Charest et Philippe Couillard qui ont pris la direction du Parti libéral du Québec, ont promu une démocratie sans volontés collectives qui rejette la société civile et n’en a que pour les libertés individuelles. Quant au Parti québécois, qui a adopté des politiques progressistes jusque sous le gouvernement Bouchard, il a perdu par la suite sa force de proposition. Incapable de se saisir des nouveaux enjeux et de redéfinir la communauté politique à construire, il s’est contenté de dénoncer la gouverne scandaleuse des libéraux, tout en versant dans un nationalisme étroit.

Que faire? Il ne s’agit évidemment pas de se prendre de nostalgie et de tenter de revenir en arrière. Sans être aucunement en accord avec monsieur Charest qui déclarait en 1998 que la Révolution tranquille appartenait dorénavant à un passé révolu, il nous faut savoir défendre et étendre les conquêtes antérieures en livrant le combat dans les termes du moment. De même que nos prédécesseurs ont su le faire depuis les années 1940 jusqu’aux années 1970, il nous faut convaincre à nouveau une majorité de citoyens que leur bien-être individuel est lié au bien-être collectif et qu’ils ne peuvent réaliser leur liberté individuelle, dans des domaines essentiels de leur vie, qu’en s’inscrivant dans une coopération solidaire avec les autres membres de la collectivité.

À l’encontre des idées néolibérales et caquistes, il faut également faire redécouvrir à ces mêmes citoyens que le politique constitue le seul espace où les dysfonctionnements de la vie sociale et économique et les injustices qu’ils dénoncent peuvent être traités.

Un parti comme Québec solidaire, qui se voue à ces tâches, est assurément un acteur important. Encore doit-il apprendre à ne pas se draper et s’isoler dans sa vertu en se laissant emporter par des rêves infantiles. Car il existe des progressistes dans d’autres partis et hors partis qu’il faut mobiliser. Pour faire émerger une nouvelle volonté collective, il faut favoriser une perception commune et globale des problèmes, et assurer la convergence des forces de changement.

Louis Côté
Professeur associé à l’École nationale d’administration publique