Depuis un peu plus d’un mois, sévit au Canada un débat concernant la façon juste de qualifier le traitement infligé historiquement aux peuples autochtones. Peut-on ou non recourir au terme « génocide », ainsi que le font dans leur rapport déposé le 3 juin 2019 les commissaires d’une enquête mise sur pied par le gouvernement canadien en 2016, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ?
Rappelant qu’à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la définition de génocide qui s’est imposée en droit international parle d’actes criminels commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme il en a été lors de l’Holocauste, plusieurs commentateurs ont mis en doute la pertinence de faire usage d’un terme ainsi connoté. Certains, des députés du Parti conservateur du Canada par exemple, se sont même montrés carrément outrés que l’on puisse mettre en cause de pareille façon les institutions canadiennes. Pour leur part, récusant la définition en question comme étant trop limitée, trop étroite, les commissaires considèrent qu’il est plusieurs formes de génocides, dont certaines qui se jouent sur le long terme. Et sans se laisser émouvoir par la secousse ressentie par nombre d’entre nous, de souche européenne, l’une des commissaires, Michèle Audette, soutient qu’il est temps de voir la réalité en face et d’en débattre.
Empreinte d’émotions, cette divergence constitue assurément une occasion favorable pour nous interroger sur ce qu’est et a été notre relation avec les peuples autochtones et nous affranchir ainsi de certains préjugés. L’analyse qui suit vise à rappeler certains éléments de nature à faciliter un tel examen et à nous permettre de mieux assumer notre passé. Car, si la culpabilité ne se transmet pas de génération en génération, il n’en va pas de même de la responsabilité.
1- L’Amérique précolombienne : une mosaïque de peuples à l’histoire longue et plurielle
Contrairement à l’opinion longtemps dominante, le passé des peuples autochtones des Amériques témoigne d’une véritable histoire. Il nous faut rompre avec les images stéréotypées d’un continent précolombien vierge et sous-exploité, qui, à l’exception des empires aztèque et incas, n’aurait été habité que par de petites bandes éparpillées, vivant dans la simplicité et l’innocence, sinon dans l’indolence et l’hostilité, et dont le mode de vie n’aurait guère évolué au cours des âges.
La chronologie ainsi que les modalités du premier peuplement de l’Amérique sont encore à ce jour l’objet de débats au sein de la communauté scientifique, mais l’hypothèse la plus vraisemblable est que la colonisation du continent s’est faite à partir du détroit de Béring, par voie terrestre ou par voie côtière, il y a au moins 13 000 ans, probablement plus de 15 000 ans. À cette époque, alors que les glaciers recouvraient l’ensemble du territoire canadien, les bandes de chasseurs-cueilleurs vont progresser rapidement vers le sud. Ils vont graduellement occuper différentes zones, formant des ensembles socioculturels clairement délimités, caractérisés par des langues, des cultures et des développements technologiques diversifiés.
Comme il en était sur les autres continents durant la même période, ces sociétés dites primitives étaient des sociétés sans domination politique ni hiérarchie sociale. Le pouvoir n’était pas séparé de la société qui, comme totalité, en était le détenteur exclusif. Il pouvait être délégué à qui avait fait la preuve de compétences particulières, comme chasseur ou comme conciliateur par exemple, mais toujours à titre circonscrit, temporaire et réversible. Le chef n’y disposait d’aucune puissance, d’aucun pouvoir de coercition, d’aucun moyen de donner un ordre. Pacificateur et médiateur essentiellement chargé de désamorcer les conflits qui pouvaient surgir entre individus, il ne disposait que de la parole pour persuader, car sa parole n’avait pas force de loi. De plus, ces sociétés ne connaissaient pas d’inégalités économiques : la richesse demeurait non seulement limitée en raison d’une production peu différenciée, mais elle ne structurait pas ces sociétés où prévalaient la coopération et l’économie du don. Par ailleurs, les bandes s’évitaient et n’avaient que des contacts épisodiques avec les autres, les étrangers, avec lesquels le rapport était le plus souvent empreint d’hostilité. On devait tenir les autres à distance et remplir, lorsque nécessaire, son devoir de vengeance. Mais, quoique fréquents, les conflits étaient brefs et modérés. D’autre part, comme il y a impossibilité de la guerre de tous contre tous, la communauté produisait une classification de ceux qui l’entouraient en deux groupes: les ennemis à qui on fait la guerre et les amis à qui on s’allie.
La vie religieuse quant à elle ne comportait ni prière, ni sacrifice : pour ces sociétés non stratifiées, il n’était nulle puissance supérieure pouvant accorder une faveur, non plus qu’une classe d’êtres dépendants et inférieurs dont il aurait été légitime de prendre la vie pour l’offrir à cette puissance. Selon sa nature, le système religieux y révélait une volonté de maîtrise et d’accomplissement qui, dépassant ce que permet la réalité, ne peut être satisfaite que sur un mode symbolique. Mais il y était défini en fonction des structures de vraisemblance propres à des sociétés animées par le sentiment d’une unité de vie avec la nature et en particulier avec certaines espèces animales, adhérant à l’idée d’une équivalence entre l’âme humaine et l’esprit animal avec possibilité d’échange entre les deux. Pourvoyeurs de sens, d’orientation et d’ordre, de nombreux mythes expliquaient l’origine du monde, du groupe et de ses différentes pratiques.
Ces sociétés primitives n’étaient pas des sociétés statiques. Indépendamment de la perception qu’en avaient leurs membres, et sans doute à un rythme plus lent que celui que connaîtront les sociétés ultérieures, les coutumes, les croyances et les technologies ont été modifiées au cours du temps. Au fil des siècles, chaque bande a dû inventer ses particularités, sans compter les échanges culturels permis par les contacts, même rares, entre bandes. En outre, même si l’ordre primitif n’en a pas été intégralement transformé, un changement majeur est intervenu à un moment ou à un autre dans la morphologie de plusieurs de ces sociétés avec le passage de la bande à la tribu. C’est qu’en raison de la saturation des espaces les plus avantageux qui a été causée, à l’échelle des millénaires, par la croissance démographique et les pratiques d’essaimage, et qui est entrée en jeu plus ou moins tôt selon les régions, les bandes n’ont pu continuer à pratiquer leur conduite d’évitement faute de no man’s land entre elles. Comment gérer les relations, les conflits que cette mise en contact génère ? Dans cette situation, la morphologie tribale va s’imposer. Intégrant plusieurs bandes, qui deviennent par le fait même un niveau d’intégration plus consistant, la tribu permet de garantir un équilibre entre des unités autonomes, autosuffisantes et à peu près égales en puissance mobilisable. La bande se transforme en groupe d’apparentés, en clan ou en lignage, qui remplace l’individu ou le ménage comme acteur de base. Cette forme nouvelle présente plusieurs virtualités aux plans politique (établissement de fonctions investies de pouvoir, par exemple) et idéologique (entre autres, l’affirmation du culte des ancêtres comme premier pas dans la construction des dieux), des virtualités qui vont s’actualiser au Néolithique.
Ici encore à l’encontre des idées reçues, la plupart des régions du continent américain ont été touchées par le processus de néolithisation, et certaines très tôt. Grâce aux travaux archéologiques, nous savons maintenant que ce processus s’est engagé graduellement à la faveur du développement de systèmes technico-économiques fondés en premier lieu sur l’exploitation de ressources alimentaires (cueillette de graines sauvages, pêche) et leur stockage à une large échelle, puis sur leur production (agriculture et élevage). Ce fut un processus lent qui s’est écoulé sur plusieurs millénaires. Et contrairement à ce qu’on a longtemps imaginé, la sédentarité est historiquement advenue avant et non après la domestication des plantes et des animaux. Grâce à l’accès permanent qu’offraient certaines régions à des ressources terrestres (plantes et animaux) ou aquatiques, des populations de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées et ont développé des pratiques de conservation (fumage ou séchage des poissons, ensilage des grains, etc.) qui ont permis une accumulation de richesses. Dans certains cas, la sédentarité a débouché sur la domestication.
Le processus de néolithisation est intervenu en tout premier lieu au Proche-Orient. S’y sont succédé entre 12 000 et 7 000 avant l’ère commune (AEC) – j’utilise ici cette notation, AEC ou EC, plus neutre, plutôt que l’ancienne notation avant Jésus-Christ, après Jésus-Christ – sédentarisation (premiers villages vers 12 000 AEC au Levant), agriculture (entre 9 500 et 8 700 AEC), élevage (entre 8 200 et 7 500 AEC) et céramique (vers 7 000 AEC). Dans cette région, ont pu être exploitées – par cueillette puisqu’elles y vivaient à l’état sauvage – puis domestiquées les principales espèces qui ont permis le développement des grandes civilisations de l’Asie occidentale et de l’Europe: l’orge, le blé, les lentilles, les pois, les fèves, le lin, pour le règne végétal, la chèvre, le mouton, le bœuf, le porc, pour le règne animal. Cela manifeste l’importance des conditions géographiques et climatiques pour le déclenchement et l’avancée d’un processus qui demeurait par ailleurs fragile tant que la sédentarité reposait sur le prélèvement de ressources et non sur leur production. Au Proche-Orient, la néolithisation s’est donc étendue sur cinq millénaires. Dans d’autres régions du monde, des populations préhistoriques vont effectuer ce passage par elles-mêmes, mais selon des séquences et à des moments différents : sédentarité et céramique (dès le douzième millénaire AEC, en Chine du Nord et au Japon), élevage (domestication du porc dès le neuvième millénaire en Chine), puis agriculture (riz et millet vers le huitième millénaire en Chine) en Extrême-Orient; céramique (neuvième millénaire), agriculture (sixième millénaire) et élevage (cinquième millénaire) en Afrique saharienne et sahélienne.
Dans les Amériques, le processus de néolithisation va survenir en tout premier lieu, et de façon indépendante, d’abord sur le littoral péruvien et dans l’aire andine, puis en Mésoamérique. À partir du sixième millénaire, des communautés vont se sédentariser sur des sites côtiers péruviens grâce aux immenses ressources halieutiques qui y sont apportées par le courant de Humboldt. L’irrigation des terres situées sur les contreforts des montagnes va par la suite leur permettre de produire des fruits et des légumes, et, surtout, du coton pour confectionner leurs filets de pêche. Sur les hautes terres andines, ce sont le maïs et la pomme de terre qui seront cultivés dans des champs en terrasse. En Mésoamérique, qui s’étend du nord du Mexique au Costa Rica, c’est au troisième millénaire que l’on assiste à la sédentarisation et au développement d’une agriculture fondée sur le maïs. À partir de ces deux zones originaires, les avancées technico-économiques vont progressivement se diffuser dans la plus grande partie du continent. C’est ainsi que l’on en viendra à cultiver le maïs depuis les rives du Rio de la Plata en Argentine jusqu’à celles des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
Car, seuls les extrêmes sud et nord du continent (la Patagonie et la plus grande part du Canada), ne seront pas touchés par le processus de néolithisation, en raison des conditions climatiques qui y prévalent. Le centre et le sud de l’Amérique du Nord expérimenteront certaines périodes précoces de sédentarisation, et l’agriculture y sera pleinement développée au cours du dernier millénaire avant notre ère. À des espèces moins connues comme le petit orge, et au tabac, qui connaîtra, lui, une large propagation, s’ajoutera ultérieurement, au huitième siècle de notre ère, la culture conjointe des trois sœurs : le maïs, la courge et le haricot. Grâce à une abondance de terres fertiles et faciles à défricher, et après que ces trois plantes aient été adaptées à des températures plus fraiches et à une période de maturation écourtée, cette culture favorisera l’établissement de multiples villages permanents. En l’espace de quelques siècles, les autochtones ont reconfiguré les paysages de régions entières, parsemant les forêts aménagées de champs cultivés et de vergers. Même en Amazonie, le millénaire et demi précédant l’arrivée des Européens a vu les autochtones se sédentariser et transformer de larges pans de la forêt, adjoignant la culture du manioc à la plantation de nombreuses espèces d’arbres fruitiers.
La néolithisation sera à la source de profondes mutations d’ordre économique, sociopolitique et idéologique. Sur le plan sociopolitique, ses principales conséquences sont sans doute la croissance démographique, condition de toute évolution vers des sociétés plus complexes, et l’affirmation de l’inégalité socioéconomique et de la hiérarchie sociale. Confisquant à leur profit une partie du surplus généré par leur communauté, certains individus vont établir leur domination. Contrairement à la société primitive, la société néolithique se présente donc comme inégalitaire et divisée. C’est la richesse, fruit de l’accumulation de ressources permise d’abord par le stockage puis par la production agricole, qui a été à la source de cette mutation. Avec la richesse et à cause d’elle s’instaurent des relations de dépendance (clientélisme et esclavage) qui vont permettre à des hommes de concentrer le pouvoir grâce à leurs fidèles et de monopoliser graduellement la violence. L’acquisition d’esclaves se fera par la guerre, qui change alors de but – non seulement les richesses stockées présentent des occasions de pillage, mais la force de travail des captifs devient exploitable –, ou dans le cadre de l’esclavage pour dettes, la personne incapable de payer sa dette à son débiteur lui étant asservie. Et une société plus hiérarchisée définira une parenté qui le sera tout autant : les aînés dominent la famille tout comme les chefs dominent les clans et les lignages.
Sur le plan des représentations, le Néolithique entraîne également tout un ensemble de transformations : il y a un lien fort entre la manière de vivre le monde et celle de l’interpréter. D’une relation d’alliance, égalitaire et de réciprocité avec les esprits animaux, on passe à une relation de filiation, verticale et de subordination, avec les âmes des ancêtres, de qui l’on tient tout (existence, territoires, troupeaux, savoirs, savoir-faire, etc.), et qui doivent être infléchies de la façon apprise au contact de ses supérieurs : on demande, on supplie, on prie et on offre des sacrifices selon une logique de donnant-donnant. Dorénavant, non seulement les mythes expliquent l’origine de ce qui existe, mais ils justifient l’ordre social, la suprématie des adultes (les initiés), des hommes, des aînés, des anciens, des chefs et des prêtres, et façonnent les conduites en conséquence.
Avec la transition de la société primitive à la société néolithique s’affirme donc une stratification sociale fondée sur la richesse qui, sanctionnée politiquement et idéologiquement, se transformera graduellement en hiérarchie sociale. Les acteurs sociaux – il s’agit moins ici d’individus que de familles et de groupes d’apparentés – sont dorénavant distribués en classes définies en termes de pouvoir, de prestige et de richesse. Toutefois, les voies d’évolution seront diverses. On peut distinguer différentes formes qu’ont pu emprunter les systèmes sociopolitiques au Néolithique, dont la ploutocratie ostentatoire et la démocratie primitive qui ont été particulièrement présentes en Amérique du Nord. La ploutocratie ostentatoire a prédominé, par exemple, sur la côte nord-ouest du Canada, où les autochtones ont pu profiter de ressources maritimes extrêmement abondantes, dont le saumon, pour se sédentariser. Prolongeant dans les temps néolithiques l’organisation qui était celle des temps antérieurs, mais la transformant par l’adjonction de la richesse, la ploutocratie ostentatoire présente une organisation formelle minimale au niveau politique. Les fonctions du chef demeurent limitées à la représentation du groupe, à la pacification et à la médiation. Ce sont les riches qui sont les chefs – d’où la désignation de ploutocratie –, des riches qui se sont approprié les sites donnant accès aux ressources les plus importantes. À la recherche de considération sociale et d’estime, ces riches dépensent pour être vus, souvent en fêtes somptueuses (le potlatch), et par conséquent de façon ostentatoire. Comme il s’agit d’un type de société où le droit à la terre est fondé sur l’usage continu à travers le temps, la richesse ne peut s’y investir en terres ou en d’autres moyens de production qui deviendraient ainsi des sources de revenus. Dans un tel contexte, l’excès de richesse est inutile.
La démocratie primitive, telle qu’elle prévalait chez les Iroquois par exemple, est, elle, de création plus récente, propre au monde néolithique. Formant une alliance militaire aux structures souples, les Cinq nations, sédentarisées, vivaient de la culture des trois sœurs (maïs, courge, haricot). Chez elles, des conseils formés de représentants se retrouvaient aux différents niveaux de la vie sociale : village, tribu, confédération. Ces conseils fonctionnaient comme des assemblées souveraines qui investissaient de façon officielle les sachems (chefs de paix) et décidaient de la guerre et de la paix. Cependant, ces assemblées – et c’est ce qui fait que ce régime n’est pas étatique – ne disposaient ni de police ni d’armée. Lorsqu’une guerre était déclarée, c’était aux chefs de guerre d’organiser par leurs propres moyens la guerre, et ils le faisaient d’une manière entièrement privée, enrôlant qui voulait bien être enrôlé et les suivre. Une autre différence majeure avec la démocratie étatique qui apparaîtra plus tard (en Grèce, par exemple) réside dans le fait que les décisions ne pouvaient être prises par l’assemblée qu’à l’unanimité, une majorité ne pouvant par conséquent imposer sa loi à une minorité.
Au cours des deuxième et premier millénaires avant notre ère, s’enclenche, d’abord en Mésoamérique puis au Pérou, un processus d’urbanisation et d’unification politique qui va conduire à l’émergence de grandes civilisations. En Eurasie – géographiquement, l’Europe et l’Asie ne forment qu’un seul et même continent –, cette révolution urbaine s’était opérée plus tôt, à partir du quatrième millénaire, d’abord dans des vallées favorisant une agriculture intensive : vallées du Tigre et de l’Euphrate, du Nil, du fleuve Jaune, de l’Indus et du Gange. Malgré les nombreuses influences qui vont jouer dans un continent où les communications sont relativement faciles, il faudra pourtant attendre en Europe les civilisations helléniques et italiques, au cours du premier millénaire avant notre ère, pour qu’apparaissent les premières cités-États. Dans le sud du Mexique, différentes civilisations urbaines vont se succéder ou coexister à partir de la première moitié du deuxième millénaire avant notre ère, depuis les Olmèques jusqu’aux Aztèques, sans oublier les Mayas qui occuperont le Yucatan et le nord du Guatemala. Quelques siècles plus tard, mais de façon totalement indépendante, apparaissent au Pérou des établissements d’envergure qui vont donner naissance à des civilisations et des empires s’étendant sur la côte et sur les hauts plateaux andins, dont, ultimement, l’empire inca.
Sur le plan politique, la révolution urbaine parachève une transition fondamentale marquée par le passage de la chefferie au royaume d’abord, puis à l’empire. Avec le temps, l’accumulation de ressources plus importantes et une capacité supérieure d’organisation ont donc favorisé dans certaines régions l’émergence d’entités dans lesquelles le pouvoir politique s’est renforcé jusqu’à devenir la source principale, sinon exclusive, du prestige et de la richesse. Royaumes et empires sont en effet fondés sur l’existence d’un État, c’est-à-dire d’un pouvoir séparé de la société qui repose sur l’organisation d’une force et est tenu pour légitime. Les guerres entre Cités-États provoquées par les rivalités pour l’hégémonie ont facilité ces prises de pouvoir tout comme elles ont favorisé la concentration en États de plus en plus grands. Le pouvoir y dispose d’organisations spécialisées qui manquaient aux chefferies : des armées plus ou moins permanentes et des bureaucraties assumant les fonctions administrative, judiciaire, fiscale, d’intendance et idéologique. La cour regroupe l’élite dominante et transforme une noblesse de clan en noblesse de cour, dont les titres et les privilèges dépendent du chef suprême, ce qui favorise son contrôle. Cette cour joue le rôle de bureaucratie centrale ayant à conseiller le prince et à s’assurer de l’exécution de ses décisions. Avec l’avènement des royaumes et des empires, l’échelle de la grandeur politique change : le chef plane désormais bien au-dessus de la foule des humains, les commandant tous de très haut, dans sa surnaturelle majesté, et suscitant l’admiration, le prosternement et l’effroi. De façon concomitante, l’échelle de la grandeur religieuse change également : les dieux s’éloignent et gagnent en souveraineté.
Les villes se sont donc édifiées et, avec elles, s’épanouit la haute culture urbaine. Sociétés et individus en ont été profondément transformés. Les sociétés à État sont des sociétés fortement inégalitaires dans lesquelles se parachève et s’impose la hiérarchie sociale esquissée au Néolithique : non pas seulement l’affirmation d’une supériorité naturelle par rapport à ceux qui vivent dans d’autres sociétés, mais l’affirmation de la supériorité des uns et de l’infériorité des autres au sein même d’une communauté en principe unie, où les uns et les autres sont liés entre eux par des obligations réciproques. Dans ce nouveau type de société où les différences sont d’emblée perçues comme des inégalités, la cohésion tient à ce que chaque individu, chaque groupe et chaque activité a son rang assigné. Mise en servitude, une partie de la population est privée de la moindre part de richesse, de prestige et de pouvoir. Cherchant à se distinguer des exclus, le peuple voit néanmoins s’élargir la distance qui le sépare des élites jusqu’au point où les genres de vie cessent d’être comparables. Une culture du luxe se développe au profit des élites : palais somptueux, grande cuisine, culture des fleurs à des fins esthétiques, pratiques artistiques diverses. Avec les États, on assiste à l’émergence de la science (les mathématiques et l’astronomie, par exemple), à l’essor des arts, au développement des modes d’organisation de la production, du commerce et de l’art militaire. En 1519, avant sa conquête, la capitale de l’empire aztèque, Tenochtitlan (Mexico), abrite une population supérieure à cent cinquante mille et peut-être deux cent mille habitants. Édifiée au milieu du lac de Texcoco, parcourue de canaux, la ville est riche d’une architecture monumentale qui ébahira les conquistadors.
2- La conquête : hécatombe et effondrement
Les voyages de Christophe Colomb inaugurent non pas la découverte d’un nouveau monde, mais la destruction d’un monde multimillénaire, une destruction suivie de la constitution d’un tout autre monde. Voyons cela.
En Eurasie, la révolution urbaine avait historiquement permis le développement d’activités manufacturières et marchandes, et des réseaux d’échange s’étaient graduellement formés, des réseaux qui, à partir du début de notre ère, reliaient les différents royaumes et empires du continent. Mais à la suite du déclin catastrophique engendré par la chute de l’Empire romain d’Occident, et pour plusieurs siècles, l’Europe occidentale avait été pratiquement absente de ce grand commerce, qui sera dominé pendant plus d’un millénaire par la Chine. À compter des Xe et XIe siècles, dans un contexte de prospérité inédit depuis le début du Moyen Âge, l’Europe va expérimenter une renaissance sur les plans démographique, économique, politique et intellectuel. La chrétienté latine va connaître une forte extension vers le Sud (avec la Reconquista dans la péninsule ibérique et la conquête normande en Sicile), vers le Nord (avec l’intégration des peuples vikings) et vers l’Est (avec la colonisation germanique et l’inclusion de peuples slaves). Forte de cette dynamique expansionniste et attirée par les richesses lointaines de l’Asie, l’Europe va chercher à s’insérer au mieux dans les courants commerciaux eurasiens desquels elle avait été pratiquement absente pendant de nombreux siècles.
L’expansion outre-mer qui débute au XVe siècle avec la conquête des îles de l’Atlantique (les Canaries, Madère, les Açores, les îles du Cap-Vert) s’inscrit dans cette visée. Les Portugais s’efforcent en effet de trouver une nouvelle route pour éviter le passage par la Méditerranée orientale, désormais contrôlée par les Turcs ottomans. Doublant le cap de Bonne-Espérance et remontant la route maritime le long de l’Afrique de l’Est pour atteindre les Indes, sous-continent aux richesses convoitées, les Portugais établissent une série de comptoirs fortifiés qui leur assurent un rôle actif dans le système d’échanges de l’Ancien Monde. Cette présence en Orient, repose sur de nombreux compromis non seulement avec les États territoriaux, mais aussi avec toutes les organisations marchandes déjà en place, arabes, malaises, japonaises… Ainsi les Portugais ne modifient pas profondément les logiques de l’Ancien Monde.
Toutefois, à l’ouest, la recherche d’un passage vers de nouvelles routes maritimes avec l’Orient va déboucher sur une entreprise d’une tout autre nature, celle de l’assujettissement des Amériques. La conquête éclair des Empires aztèque et inca par de petites troupes espagnoles tient moins à la suprématie de l’armement de ces dernières (des épées de métal et des cuirasses, des armes à feu plus assourdissantes que mortelles) qu’aux alliances stratégiques que les conquistadors ont su nouer avec des groupes d’indigènes insatisfaits et, surtout, aux effets des maladies contagieuses contre lesquelles les peuples amérindiens, à la différence des peuples européens, n’étaient pas immunisés. Car, de nombreux virus et bactéries prévalant en Eurasie depuis des millénaires étaient absents du continent américain. En 1518, la variole apparaît sur Hispaniola, point d’appui pour les expéditions exploratrices et colonisatrices espagnoles aux Amériques. Elle élimine une grande partie de la population de l’île avant de se déplacer vers Porto Rico et Cuba. La maladie se propage ensuite rapidement jusqu’au Mexique, où elle dévaste la capitale des Aztèques, balaye l’Amérique centrale puis se répand au Pérou, en Bolivie et au Chili. Aussi, avant même les arrivées de Cortès à Mexico en 1519, et de Pizarro chez les Incas en 1532, l’épidémie avait touché les deux grands empires en plein cœur, fauchant des centaines de milliers de personnes, mettant à mal la cohésion sociale, alimentant conflits et guerres civiles, affaiblissant le pouvoir et le rendant incapable de repousser l’intrusion.
La conquête du continent américain par les Européens a déclenché la plus grande catastrophe démographique de l’histoire de l’humanité : entre 80 et 100 millions d’Amérindiens, soit environ 90 % de la population, ont été décimés par les épidémies de variole, de typhus, de grippe, de diphtérie, de rougeole, durant les deux siècles suivant cette conquête. Dans les Grandes Antilles, la population indienne est pratiquement anéantie en une trentaine d’années; au Mexique, elle passe de 25 millions vers 1519 à un million et demi en 1580 et, au Pérou, de 10 millions en 1530 à près de 1 million à la fin du siècle. L’hécatombe humaine s’est accompagnée d’un spectaculaire bouleversement écologique. À l’abandon, les villages, les fermes, les champs, les canaux d’irrigation, les jardins, les vergers et les forêts aménagées sont disparus, laissant place à une nature (faune et flore) soi-disant vierge, que les colonisateurs vont transformer par la suite à leur façon.
Faut-il parler de génocide pour qualifier ce cataclysme qui a touché les autochtones américains ? On peut bien sûr défendre le fait qu’il n’y a pas eu lors de la Conquête une volonté programmée d’élimination de tous les autochtones, à la façon dont les Nazis ont organisé l’extermination de masse des Juifs au cours de la Deuxième Guerre mondiale. S’agirait-il donc d’une tragédie non intentionnelle ? Entériner un tel point de vue serait faire abstraction de la volonté manifeste des Européens de soumettre et de s’approprier à tout prix les territoires autochtones, ce que la colonisation montrera amplement.
3- La colonisation : assujettissement et domination
Après les massacres et les exactions commis lors de la conquête, les Espagnols se sont d’abord livrés au pillage des métaux précieux accumulés par les sociétés amérindiennes au cours des siècles passés, puis à l’exploitation des mines d’or et, surtout, d’argent, au Mexique, au Pérou et en Bolivie. L’arrivée massive d’or et d’argent d’Amérique va permettre aux Européens d’intensifier leur commerce avec l’Orient. Contrairement à ce qui prévalait antérieurement, alors que les produits qu’ils proposaient étaient peu convoités du fait de leur piètre qualité, les métaux précieux qu’ils offriront désormais vont leur permettre de se procurer facilement les soieries, porcelaines et autres produits de Chine, ainsi que les cotonnades et les épices d’Inde et d’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, en raison des dépenses colossales effectuées par les souverains espagnols dans le but d’instaurer leur hégémonie européenne, cette expansion commerciale va surtout profiter aux pays de l’Europe du Nord-Ouest qui, fournissant bateaux, armes, vêtements et autres produits aux Espagnols, vont amorcer un processus de croissance les conduisant à terme à donner naissance au capitalisme.
Le « miracle européen » à venir va en outre dépendre pour beaucoup des rapports de domination et d’exploitation que les Espagnols, les Portugais, les Néerlandais, les Anglais et les Français vont imposer au continent américain en vue de s’assurer un approvisionnement avantageux et continu en produits alimentaires, fibres végétales, etc. Les plantations et les autres formes de mise en valeur des terres vont participer à l’accumulation primitive du capital. De plus, fournissant des produits de la terre (sucre, grains, viande, coton, laine et bois) nécessaires tout autant à la survie des populations qu’au développement de la production manufacturière, elles vont faciliter un transfert d’activités vers l’industrie en Grande-Bretagne d’abord, puis ailleurs en Europe occidentale. Au départ, ce seront les Amérindiens qui seront forcés de travailler dans les mines et les plantations. Puis, pour pallier la diminution de la main-d’œuvre due à la mortalité considérable causée par une exploitation implacable et les épidémies, on a dû trouver rapidement une solution autre, une solution qui sera fournie par la traite négrière. C’est ainsi que naîtra une vaste région esclavagiste encerclant les Caraïbes, du Brésil jusqu’au sud des futurs États-Unis. Les îles vont subir déforestation et érosion, et de vastes contrées, autrefois saines, seront touchées par de nouveaux fléaux, la malaria et la fièvre jaune.
Dans la période coloniale qui a duré près de trois siècles, de 1530 à 1820 environ, les sociétés latino-américaines seront rigidement hiérarchisées et excluantes. Le sommet de la pyramide est occupé par les Blancs, la base par les habitants de couleur qui, seuls, travaillent de leurs mains et paient le tribut. La ségrégation est légalement instituée. Les Indiens sont exclus de l’éducation, les métis cantonnés, sauf exception, dans l’exercice des arts mécaniques. Des lois somptuaires interdisent aux autochtones et aux afro-américains, fussent-ils affranchis, de porter les mêmes vêtements que les blancs. La justice n’est évidemment pas identique pour tous : un même délit est sanctionné par une amende ou par un châtiment corporel suivant la couleur. Après les indépendances, l’oppression et le mépris vont se perpétuer sous la domination des grands propriétaires créoles qui consolident et agrandissent les domaines coloniaux aux dépens des autochtones qui perdent les quelques garanties que leur avait assurées la Couronne. Cette conquête territoriale, qui se réalise grâce au fractionnement et à la commercialisation des terres des communautés indiennes ainsi qu’à la sécularisation des biens du clergé, va se poursuivre tout au long du XIXe et même du XXe siècle, les fermiers et petits propriétaires étant expulsés de leurs terres.
En Amérique du Nord, la côte atlantique avait été fréquentée pendant tout le XVIe siècle par des Européens (Anglais, Français, Portugais, Basques, etc.) venus y pratiquer la pêche à la morue ainsi que la chasse à la baleine, et, accessoirement, le commerce des fourrures. À partir du début du XVIIe siècle, les Britanniques tentent de s’établir à demeure dans les régions centre et sud de la côte, des régions relativement peuplées par des tribus occupant des villages permanents et pratiquant l’agriculture comme ressource principale ou complémentaire à la cueillette. En raison des difficultés à s’adapter à un nouvel environnement et, surtout, de la résistance des autochtones, les premières tentatives mènent à des échecs. Au départ, la supériorité numérique des Amérindiens, leur connaissance du terrain, leur capacité tactique et leur maîtrise remarquable du tir à l’arc leur permettent de résister à l’intrusion. Mais, ici encore, les épidémies et leurs horribles conséquences vont survenir. Les Britanniques pourront alors occuper les emplacements dépeuplés puis abandonnés, et jouer plus facilement les tribus affaiblies les unes contre les autres jusqu’à s’approprier l’ensemble du territoire. Le Pèlerins attribueront les épidémies à la « juste main de Dieu » qui leur aurait libéré l’espace afin que s’accomplisse son dessein. Après l’indépendance, les Américains vont refouler graduellement les populations amérindiennes vers l’ouest du continent. Puis, au XIXe siècle, quand les débuts de la transition démographique européenne – phase au cours de laquelle la population gardera un niveau élevé de fécondité en dépit d’une baisse considérable de la mortalité – provoqueront l’arrivée en Amérique de centaines de milliers de migrants avides de terres, ils chercheront carrément à supprimer ces peuples gênants.
Plus au nord du continent, les Français n’avaient pas eu à déloger des autochtones pour s’implanter dans la vallée laurentienne. Les peuples iroquoiens sédentaires que Jacques Cartier y avait rencontrés en 1535 avaient disparu, probablement terrassés par des épidémies et des guerres intertribales. La région n’était fréquentée que par quelques groupes nomades, algonquiens et montagnais, qui venaient pêcher l’été à l’embouchure des rivières et se dispersaient l’hiver sur leurs terrains de chasse. Samuel de Champlain fonde Québec, un site exceptionnel, bien protégé et donnant accès à un vaste territoire propice au commerce des fourrures. Pendant toute son existence, la Nouvelle-France reposera d’ailleurs en grande partie sur l’exploitation des pelleteries, ce qui favorisera la coopération avec les populations amérindiennes. Devant s’adapter à un nouveau milieu, les Français s’approprieront de nombreux éléments de la culture matérielle amérindienne : vêtements, nourriture, plantes médicinales, canots d’écorces, raquettes, etc. À l’évidence, ainsi qu’ils le démontreront plus tard dans leurs plantations des Antilles où ils infligeront aux Africains un esclavage des plus impitoyables, les Français auraient pu se montrer aussi cruels que les autres Européens à l’égard des Amérindiens. Toutefois, se trouvant malgré leur désir d’empire dans une situation de dépendance d’ordre économique et stratégique à l’égard des Amérindiens, ils s’inscriront avec ces derniers dans une logique d’alliance, et non de dépossession comme le feront les Espagnols et les Anglais. Grâce à cette alliance, ils contrôleront tant bien que mal tout l’intérieur de l’Amérique du Nord, depuis la vallée du Saint-Laurent jusqu’à la vallée du Mississipi et son embouchure, en passant par les Grands Lacs. Avec le concours des Amérindiens, ils arriveront à résister aux Anglais dont les colonies beaucoup plus populeuses – au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France ne comptera que 16 000 habitants d’origine européenne contre 300 000 pour les colonies anglaises – demeureront enclavées jusqu’en 1760 entre l’Atlantique et les Appalaches.
Bien sûr, l’alliance franco-amérindienne ne sera pas sans effets négatifs sur les sociétés autochtones, dont, en premier lieu, la forte dépopulation causée par le choc microbien. C’est ainsi que les Hurons, principaux alliés des Français, verront leur population fondre de 30 000 à 9 000 en une trentaine d’années. Et puis, il y aura l’action des missionnaires. Cherchant à transformer les autochtones pour en faire de bons catholiques, ce qui était malgré tout moins néfaste que de viser à les éliminer à la manière des puritains anglais qui les considéraient comme des représentants de Satan, ils engendreront tout de même une certaine déculturation. Après leur conquête de la Nouvelle-France, confrontés aux insurgés américains, les Britanniques vont dans un premier temps s’inscrire eux aussi dans une logique d’alliance avec les tribus amérindiennes, concluant des traités leur reconnaissant des droits fonciers. Mais avec la colonisation graduelle du territoire canadien, les peuples autochtones se verront dépossédés de leurs terres et subiront, pour certains, des relocalisations forcées. Ils seront soumis à de nombreuses mesures visant leur assimilation, comme le placement contraint de leurs enfants dans des pensionnats destinés à les acculturer, ou même leur extinction, comme la stérilisation forcée de leurs femmes.
Dépouillés de leurs espaces de vie, réduits à la pauvreté et cantonnés dans des réserves, les autochtones seront, pour la plupart, exclus du développement et de la modernisation de la société canadienne, et subiront un mépris et un dénigrement manifeste de leurs cultures. Le dénuement, l’exclusion, la ségrégation, la dépréciation et l’absence de reconnaissance vont déstabiliser les communautés et provoquer chez certains de leurs membres un rapport négatif à soi et un désespoir conduisant parfois à la fuite ou à la violence.
4- Un génocide ?
À la lumière de ce rappel d’un certain nombre de faits de nature historique, revenons pour terminer cette analyse à notre question de départ : peut-on ou non recourir au terme « génocide » pour qualifier le traitement infligé aux peuples autochtones au cours des siècles passés ?
Comme nous l’avons précédemment suggéré, le terme « génocide » constitue une catégorie juridique. Un génocide suppose une intention explicite de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Certains crimes commis à l’encontre des Amérindiens manifestent sans doute une telle intention. On peut penser aux diverses tentatives engagées aux États-Unis au XIXe siècle dans le but avoué d’éliminer certaines tribus par la violence, en vue de s’approprier leurs terres. Sans présenter une évidence aussi indiscutable, les entreprises de stérilisation ou d’assimilation forcées qui ont été poursuivies au Canada en vue de supprimer les communautés autochtones et de faire disparaître leur mode de vie se rapprochent vraisemblablement d’une volonté génocidaire. En revanche, les autres méfaits réalisés par les colonisateurs semblent d’une autre nature. On ne saurait interpréter le cataclysme microbien comme le fruit d’une intention explicite de destruction des Amérindiens. Il en va de même des autres atrocités perpétrées lors de la conquête ou depuis lors : massacres et exactions, pillage des richesses, vol des terres, travail forcé dans les mines ou les plantations, relocalisations contraintes, ségrégation, mépris, dénigrement, assujettissement.
Tous ces méfaits sont assurément des crimes abominables, dont les conséquences ont été catastrophiques pour des centaines de millions d’individus qui ont subi des violences innombrables, pour leurs peuples qui ont vu leur riche patrimoine ancestral englouti et leur avenir largement compromis, et pour l’humanité dans son ensemble qui a perdu en partie des lignées civilisationnelles et culturelles aux sources singulières. Mais, plutôt que d’en préciser la nature, enclore ces méfaits sous la catégorie de génocide ne peut que brouiller les choses et en gêner une juste compréhension. Il en est de même des maux qui ont touché particulièrement les femmes : agressions, viols, meurtres, négligence criminelle, etc. On voit mal comment on peut qualifier ces divers crimes de génocide alors que certains de ces actes de violence ont été commis par des partenaires ou des proches des victimes, ainsi que le précisent elles-mêmes dans leur rapport les commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Bien sûr, il ne faut pas oublier que les violences prévalant aujourd’hui dans certaines communautés autochtones sont le résultat de tous les crimes qui ont déstabilisé celles-ci. Sapant leurs institutions et minant leurs références communes porteuses de sens, ces crimes ont fragilisé les individus et affecté les comportements et les rapports sociaux.
Heureusement, depuis quelques décennies, de nouvelles générations d’autochtones, mieux armées, plus instruites et plus actives, se dédient à la défense des intérêts et au développement de leurs communautés, et ce, à tous les plans, politique, économique, social et culturel. En outre, certains gouvernements se sont montrés plus ouverts à l’instauration de nouveaux partenariats basés sur la coopération, la confiance et le respect mutuel avec les communautés autochtones. Il en a été ainsi de l’entente conclue en 2002 entre le gouvernement du Québec et les Cris, entente visant à assurer à ceux-ci une autonomie et une prise en charge accrues de leur développement économique et communautaire, dans le respect des principes du développement durable et de leur mode de vie traditionnel. Quant aux citoyens d’autres origines, et particulièrement à ceux de souche européenne, qui portent qu’ils le veuillent ou non une responsabilité de nature historique, on ne peut que souhaiter qu’ils soutiennent ces efforts. Le passé doit être assumé afin que l’avenir soit ménagé.
Salut Louis,
Je n’avais pas lu cette analyse. C’est drôle qu’on en ait parlé en fin de semaine. C’est super intéressant. C’est plein d’information et, comme tu le dis, ça met un paquet de choses en perspective. Merci pour cela.
Une question tout à fait en dehors du texte lui-même, j’imagine que tu n’as pas inventé tout ça, que tu as fait des recherches approfondies. Que c’est beaucoup de travail.
Mais, à priori, on est obligé de croire ce que tu nous racontes.
Dans d’autres écrits, (Les avatars de l’humain, 3 approches en matière de gestion publique), tu fournis une bibliographie, une liste de tes références.
Pourquoi, dans cette analyse, on ne connait pas tes sources? Rien de bien grave, crois moi, mais quand même. Est-ce parce que ce serait trop long, trop volumineux? Ou est-ce que le format ne s’y prête pas?
Simple curiosité…..
Bonne journée, Louis
Yve